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Ce qui a changé le monde dans les trois dernières décennies (1980-2010) : une lecture internationale

lundi 4 avril 2011 parLouis Favreau

J’étais au Sénégal en février dernier. En tant que professeur d’une université et en tant que vice-président du GESQ. Je participais, sous ce double chapeau, à l’organisation d’une rencontre internationale à Saint-Louis, sorte de pré-forum social, puis à Dakar pour le FSM. Ledernier bulletin électronique du GESQrend bien compte de ce que la délégation québécoise pilotée par leGESQet certaines de ces organisations membres y ont fait. À Saint-Louis, à l’université Gaston-Berger, tout comme à Dakar à l’Université Cheik Anta Diop, j’étais invité à titre de conférencier, on m’avait demandé de faire une lecture internationale de la situation actuelle. J’ai tenté de lui donner un peu plus de profondeur en allant dans l’histoire des 30 dernières années lesquelles, quand on s’y attarde un peu, marquent une différence profonde d’avec la période antérieure, celle des 30 glorieuses (1945-1975). Voici en donc en synthèse le fruit de cette réflexion sur les 30 dernières années.

Dans une perspective internationale et de conjoncture longue, pour les mouvements sociaux qui naissent ou qui cherchent à se renouveler, il s’est passé beaucoup de choses dans les 30 dernières années qui ont littéralement bouleversé le monde. On peut citer la chute du mur de Berlin et l’implosion du communisme ; la montée en puissance de la financiarisation du capitalisme ; le retour des religions sur l’avant-scène de l’espace public mondial ; une importante prise de conscience écologique ; deux décennies sur trois d’échec du développement dans les pays du Sud simultanément à la montée dans les pays du Nord de la précarité du travail. Explorons ces grandes tendances, certaines plus politiques, d’autres plus économiques ou culturelles qui viennent modifier radicalement le monde dans lequel nous vivons maintenant. Explorons aussi ce qui en découle pour les mouvements sociaux : un changement de paradigme dans la poursuite d’objectifs pour rendre le monde plus équitable, plus écologique et plus démocratique.Panel ouverture St-Louis

Participants ouverture Saint-Louis

1. La fin des communismes

 [1] Vu du Québec, ce constat peut laisser relativement indifférent. Nous avons peu connu l’influence du communisme dans notre société, sinon une vague marxiste-léniniste de groupes maoïstes pendant une courte décennie qui coure de 1975 à 1983 et qui a influencé la génération des militants et dirigeants de certaines organisations communautaires des années 70 comme les ACEF, le Centre de formation populaire (CFP), le Front commun des assistés sociaux, les réseaux du secteur de l’habitation comme le FRAPRU, la première génération des garderies devenues des Centres de la petite enfance, les coopératives d’alimentation et certains syndicats, surtout à la CSN à Montréal de même que certains réseaux régionaux de solidarité internationale (Favreau, 1989 : 153-185).

Mais la plupart des pays de la planète ont vraiment vécu cette influence souvent déterminante sur plusieurs décennies et générations que ce soit dans l’Europe de l’après-guerre, l’Europe de l’Ouest (avec de forts partis communistes en France, en Italie ou en Espagne) et de l’Est (pays dirigés par des régimes communistes) ou en Amérique latine suite à la révolution cubaine ou dans la foulée de la décolonisation en Afrique avec plusieurs mouvements de libération nationale (Afrique du Sud, Angola…). Et évidemment en Asie avec le Vietnam, la Chine et la Corée du Nord.

En gros, le tiers de la population de la planète a été dirigé par des régimes communistes, mais plus encore si on prend en compte les populations interpellées de l’intérieur de leur société dans des pays démocratiques par de puissants partis nationaux, tous dans la mouvance de l’URSS. C’est la chute du mur de Berlin en 1989 qui marquera un tournant décisif, la fin des communismes, c’est-à-dire la fin de la plus grande partie des régimes communistes (Europe de l’Est) et la transformation des régimes communistes des pays du Sud comme le Vietnam, la Chine et Cuba en des régimes certes de monopole du parti sur l’État, mais aussi d’une décrispation de l’économie (qui était pour l’essentiel une économie étatisée) qui devient de plus en plus une économie capitaliste. En Russie, un capitalisme sauvage ; en Chine et au Vietnam, une économie capitaliste ouverte aux multinationales européennes et américaines.

Le résultat le plus net à l’échelle de la planète, au Nord comme au Sud, à l’Est comme à l’Ouest, sera sans doutela fin d’un rêvequi avait marqué des générations comme celle de la Résistance française ou la résistance au franquisme en Espagne par exemple (Alphandéry, 2011 ; Semprun, 1978) ou celle des militants et dirigeants de mouvements de libération nationale dans les pays du Sud (Mandela et l’influence de la révolution cubaine sur son parti, l’African National CongressANC). Ces générations ont cru qu’il y avait un véritable projet de société alternatif à celui du capitalisme.C’était une utopie-modèle(Rosanvallon,Alternatives économiques, numéro 295, octobre 2010). 20 ans après la chute du mur de Berlin, le communisme n’est plus qu’un épisode politique qui aura influencé grandement l’histoire du 20esièclemais qui aura cessé de faire rêver.Il n’est plus porteur de l’ambition de changer le monde. Il a échoué à le faire. Et il a beaucoup fait réfléchir sur les idées communistes qui n’accordaient aucune place à la démocratie dans leur analyse et sur les régimes communistes comme régimes autoritaires, voire comme totalitarismes (Harendt, 1951). Figure de proue : Staline. Bref la désillusion que certains avaient vue bien avant 1989 est désormais consacrée et généralisée suite à la chute du dit mur de Berlin.

La fin des communismes, c’est aussi la fin d’un monde bipolaire et le triomphe du marché, les coudées franches pour un capitalisme boursier et financier qui peut désormais se déployer sur l’ensemble de la planète. Le monde devient multipolaire, interconnecté et volatil. Nous y reviendrons mais retenons que, pour les mouvements sociaux, les dirigeants qui avaient placé longtemps leur espoir dans ce type de socialisme où étaient censées régner la justice sociale et la démocratie, sont devenus orphelins de modèles et très allergiques aux dépendances à l’égard de partis politiques qui se veulent des avant-gardes éclairées. Le Forum social mondial témoigne de cela par les conclusions qu’il a tirées de cette période : les avancées, dans quelque domaine que ce soit, seront démocratiques ou ne seront pas ; l’action collective sera non-violente ; les avancées se feront dans le respect du pluralisme et dans le respect, par les partis politiques, de l’autonomie politique des mouvements qui se refusent à être considérés comme de simples courroies de transmission de ces partis. Voir à cet effet lacharte des principes et des orientations du Forum social mondial(FSM). La Confédération syndicale internationale (CSI) fondée en 2006 témoigne également de la fin de cette époque puisque les oppositions antérieures (chrétienne, social-démocrate et communiste) tombent (Favreau et alii, 2010) au bénéfice d’une unité syndicale enfin retrouvée.

2. Le retour des religions et surtout des fondamentalismes religieux

Soyons clair ! Le retour des religions dont il est question, c’est surtout le retour des fondamentalismes religieux : d’abord celui desBorn again christiansaux Etats-Unis (70 millions de fidèles) qui essaiment sur toute la planète, tout particulièrement dans un certain nombre de pays du Sud, notamment en Amérique latine et en Afrique anglophone. Si l’Europe s’est grandement sécularisée, il en va autrement quand on examine le tout à l’échelle mondiale. « La planète religieuse s’est mondialisée » nous dit Olivier Mongin, directeur de rédaction à la revueEsprit. En d’autres termes, la mondialisation n’est pas qu’économique, politique ou sociale. Elle est aussi religieuse. Ce qui est généralement sous-estimée, voire ignorée alors que sa signification politique n’est pas, loin de là, marginale.

On assiste en effet depuis deux décennies à un sérieux retour des choses : a) essor marqué de l’évangélisme protestant dans les pays du Sud à partir de son foyer principal les Etats-Unis d’une part ; b) et d’autre part la montée d’un islamisme radical sur l’avant-scène publique internationale ; c) de même que la reprise au sein de l’Église catholique d’un courant conservateur. Commun dénominateur : le combat contre l’ouverture au monde, le refus de la liberté religieuse et du dialogue avec les autres religions et donc le refus en bloc de la laïcité, de l’oecuménisme, de la liberté de conscience et des droits de la personne. En 2050, le christianisme (surtout protestant) sera la religion des trois quarts de l’humanité et son centre de gravité se sera déplacé des pays du Nord vers les pays du Sud (Chelini-Pont, 2007). L’évangélisme protestant est d’autant plus marquant qu’il est le courant religieux sans doute le plus adapté à la mondialisation en cours avec ses réseaux transnationaux, ses moyens de communication de masse (télévision qui diffuse de par le monde, des universités, des postes de radio et des ONG comme Vision mondiale, ONG pentecôtiste présente dans 100 pays).

Caractéristiques centrales : un conservatisme social et politique ; une pratique d’assistanat dans les pays du Sud (sous couvert d’un discours de développement des communautés) ; le non-respect du principe de la neutralité religieuse ; et un militantisme associatif de type caritatif. Tels sont les éléments centraux au cœur des choix de ces courants religieux. Certes, nous prenons ici à témoin le christianisme et ses différentes variantes mais une étude de l’Islam, de ses différents courants, de ses confréries religieuses (Diagne, 2008) et de ses ONG serait tout aussi instructive sur la contribution ou non de la religion au développement de la démocratie et de la justice économique et sociale dans le monde. On peut penser ici au fondamentalisme wahhabiste de l’Arabie saoudite ou du Pakistan ou au fondamentalisme islamique de la « révolution iranienne » des Ayatollahs (1979). Conclusion : si la religion peut être un facteur de progrès social comme c’et le cas à notre avis de la théologie de la libération et des communautés de base liées au catholicisme progressiste dans la mouvance du Concile Vatican II au début des années 60 en Amérique latine, elle peut aussi au contraire être un frein.

Ce qui veut dire que certains mouvements sociaux sont désormais traversés par des courants religieux conservateurs comme c’est le cas du mouvement associatif américain ou d’ONG confessionnelles et caritatives. Ce qui veut dire aussi que la laïcité est redevenue un enjeu politique dans des sociétés comme la nôtre comme en témoigne toute une série de débats entourant la Commission Bouchard-Taylor (Rocher, 2010 ; CSN, 2010) et d’autres démocraties, notamment au Sud comme le Sénégal par exemple.

3. La montée en puissance de la financiarisation du capitalisme et la crise de 2008

On a vécu « les trente années glorieuses » entre 1945 et 1975. Ce qui exprime bien cette réalité est ceNew Dealbâti au fil des décennies du XXesiècle : un compromis historique entre le capitalisme et le mouvement ouvrier dans les pays du Nord là où la révolution industrielle a démarré. Ce qui introduit deux choses qui vont transformer substantiellement le capitalisme d’un certain nombre de pays : reconnaissance du rôle de l’État comme moteur des protections sociales auxquelles les entreprises doivent participer (assurance emploi, législation du travail, assurances collectives, fonds de retraite…) et reconnaissance des syndicats comme représentants des travailleurs et agents négociateurs de contrats de travail.

Mais, grosso modo, depuis trente ans, de 1980 à aujourd’hui, nous vivons trois décennies bien différentes du capitalisme à l’échelle internationale, notamment suite à la chute du mur de Berlin en 1989. Le capitalisme a pu se déployer avec beaucoup moins de contrôle et de réglementation à l’échelle de tous les pays du monde, à l’Est comme à l’Ouest, au Nord comme au Sud. Ensuite, l’autre élément qui lui est concomitant : les finances s’emparent des postes de commande de l’économie, provoquant ainsi peu à peu la dictature des actionnaires et les intérêts à court terme de ceux-ci, la spéculation boursière, etc. Ces derniers ont peu à peu prévalu sur les dirigeants d’entreprises des générations antérieures qui avaient fini par accepter, dans le cadre duNew Deal, en premier lieu, le développement de leurs entreprises avec un autre acteur majeur, le syndicalisme et, en second lieu, le rôle actif de l’État : développement des investissement sur le long terme, stabilité de la main d’œuvre et stabilité des relations de travail syndicales/patronales, acceptation de mesures de protection sociale (législation du travail, politique d’assurance-emploi…).

Avec les années 80-90, nous sommes arrivés, sans trop nous en rendre compte, à un nouveau moment historique du capitalisme : celui d’un capitalisme financier et boursier (Biasutti et Braquet, 2010 ; Gadrey, 2010) inscrit dans une interdépendance économique qui a levé de plusieurs crans à l’échelle de toute la planète (mondialisation néolibérale), interdépendance amenant aussi une importante vague de délocalisations. C’est ainsi que la crise financière de 2008 aux Etats-Unis aura provoqué la mise au chômage de 20 millions de personnes dans le pays (sans compter les faillites personnelles liées à la fuite en avant immobilière) et 220 millions de perte d’emplois dans le reste du monde [2]. Radio-Canada raconte, dans sa série documentaireKrach, les dessous de la crise économique mondiale(2011), que le 13 octobre 2008, à peine un mois après la faillite d’une importante banque US, laLehman Brothers, le gouvernement américain convoque les présidents des neuf plus grandes banques américaines au Département du Trésor pour annoncer que l’État fédéral allait mettre sur le marché 250 milliards de dollars pour les soutenir. C’est ainsi que « le plus gros chèque d’aide sociale de l’histoire a été émis pour Wall Street » de commenter un journaliste économique en entrevue à l’émission de la télévision canadienne. L’arnaque des banques et des agences de notation sur les États et sur les finances publiques, et, en bout de ligne sur les emplois et les salaires des travailleurs, de même que la faiblesse de ces États à imposer des nouvelles règles du jeu sont des caractéristiques de la période actuelle. Effet majeur : c’est de cette arnaque qu’a découlé les millions d’emplois perdus dans le monde.

Conclusion : les mouvements sociaux doivent tirer quelques leçons de la phase actuelle du capitalisme : le remettre en question dans sa globalité, le repenser, le dépasser et rechercher des alternatives viables, crédibles, durables au capitalisme et trouver des pistes de sortie de crise comme celle de miser sur un secteur non-capitaliste d’entreprises sous contrôle démocratique osantretirer des territoires d’expansion à des multinationalesdont la seule préoccupation est de maximiser leur profit (Favreau et alii, 2010).

La prise de conscience écologique

Nous traversons, nous dit l’économiste Jean Gadrey dans son dernier livre, « la première crise socio-écologique du capitalisme financier et boursier, la première où la raréfaction des ressources et les dégâts écologiques ont eu une influence sur le plongeon économique » (Gadrey, 2010 : 152). Écologiquement parlant, la planète est en état de survie. Parmi les risques environnementaux d’envergure planétaire, mentionnons leréchauffement accéléré de la planètedû à la consommation élevée d’énergies fossiles ; lamenace qui pèse sur la biodiversitédue à un modèle de développement qui ne prend pas en compte l’équilibre des écosystèmes et, finalement, les diverses formes depollution. La transformation écologique de l’économie est un enjeu tout à la fois local et mondialcomme je l’ai développé ailleurs.

On ne peut se satisfaire d’un trop court diagnostic qui considère la crise comme étant seulement financière (le crédit débridé) et économique (déstabilisation des entreprises, montée du travail précaire et chute de l’emploi). Il faut pousser plus loin et considérer que la crise est globale sans être totale (puisque certains pays s’en tirent nettement mieux que la majorité) : économique à coup sûr, sociale par la montée des inégalités mais aussi, età la même hauteur, écologique (alimentaire, énergétique et climatique) (Lipietz, 2009 ; Kempf, 2008). Crise de l’emploi et crise du climat vont aujourd’hui de pair. Il y a de petites crises et de grandes crises. Celle-ci est une grande crise parce qu’à la crise de l’emploi s’est superposée la question écologique avec ce qu’elle induit de crises alimentaires à répétition, de crises énergétiques récurrentes (prix du pétrole) et de crise du climat (réchauffement climatique) laquelle devient chaque année de plus en plus manifeste (inondations, sécheresses…).

La planète est engagée dans une crise écologique telle que l’urgence est à la porte et l’interdépendance des nations, des populations, des mouvements s’est, du coup, haussée de plusieurs crans surtout au Sud. La rencontre de Copenhague fin 2009 a marqué les esprits par l’échec des gouvernements et des institutions internationales à répondre à cette urgence.

Conclusion politique à ce sujet : l’urgence écologique est une proposition centrale pour tous les mouvements sociaux comme pour tous les partis politiques dignes de ce nom. Il leur faut ouvrir de nouveaux chantiers relativement inédits simultanément à celui d’une économie coopérative et solidaire :1) celui del’énergie et du climat. Par exemple, en Europe, forcer le basculement vers le transport en commun ferait 8 millions d’emplois (contre 4.5 millions de perte d’emplois dans la production du transport individuel par automobile) si les pays d’Europe remplissaient leurs objectifs de réduire de 30% leurs émissions de CO2 ; 2) celui del’agriculture-alimentation. Imaginons par exemple qu’on persuade tous les établissements scolaires (écoles, collèges, universités) de passer progressivement à l’agriculture de proximité (sans intrants chimiques) dans le cadre d’une transition sur 5 ans.

Deux décennies sur trois perdues pour le développement du Sud et montée de la précarité au Nord

Le Sud, avec l’arrivée des années 80 est en mal de développement. Les gouvernements de ces pays sont endettés. La Banque mondiale et le Fonds monétaire international sous tutelle des grands pays du Nord ont beau jeu de leur imposer le « tout au marché » avec des programmes d’ajustement structurel qui a littéralement laminé le peu de protection sociale qu’ils avaient déjà (éducation, santé, services sociaux). Cas particulièrement patent de nombreux pays africains. Perte de services publics d’intérêt général d’une part mais aussi mis au rancart de toute idée de politiques agricoles favorisant un développement endogène. C’est le « tout à l’exportation » et donc l’approfondissement d’un développement extraverti (Ndiaye, 2009 ; Favreau, Ndiaye et Ortiz, 2008 ; Favreau et Fall, 2007). L’année 2000 change la donne avec l’entrée en scène desObjectifs de lutte contre la pauvretédes Nations unies. Souffle de changement sans toutefois toucher aux structures des inégalités derrière cette pauvreté. Exemple parmi d’autres, les paysans maliens producteurs de coton s’appauvrissent. D’autre part, on assiste à la présence croissante de pays émergents (Brésil, Inde, Chine) dans d’autres pays du Sud, notamment en sol africain. Résultat : la concurrence avec les produits des économies locales est posée comme enjeu de même que celui du contrôle des richesses naturelles.

Au Nord, le monde du travail est en mutation, alors que la précarité est à la hausse pour cause notamment de délocalisations vers d’autres pays où la main d’œuvre est moins chère. L’expression même de ce phénomène, c’est la multinationale Wal-Mart, dont tous les commerces (6000 magasins, 144 millions de clients), à quelques exceptions, dans les 100 pays où elle est présente, ne sont pas syndiqués (ses dirigeants mènent toujours une lutte antisyndicale farouche où que ce soit), leurs salaires sont relativement bas et leurs coûts de production sont peu élevés parce qu’ils bénéficient d’une main-d’oeuvre à très bon marché dans les pays du Sud.

Révélateur de la crise de 2008 : les grandes forteresses ouvrières de jadis, celles des années 50 et 60, dans l’industrie de la métallurgie, de l’automobile et du papier notamment, dont la fragilité était bien présente depuis les années 80-90, tombent les unes après les autres. Grâce au New Deal, ces grandes entreprises assuraient une sécurité d’emploi. Tout cela déclinait déjà dangereusement mais la bulle immobilière aux États-Unis, avec l’élastique du crédit qui s’était étiré au maximum, a fini par se rompre. Le corollaire de tout cela en a été que le mouvement syndical s’est sérieusement affaibli.

Que conclure dans ce registre sinon que l’impératif de la solidarité internationale pour les mouvements sociaux doit se renouveler, parce qu’on ne peut plus penser les réponses à la crise dans un contexte uniquement national. Et la coopération Nord-Sud doit repartir sur d’autres bases comme nous l’avons analysé dans les dernières années (Favreau et alii, 2010 ; Favreau et alii 2008).

Le FSM, un espoir réinventé

Il y aurait d’autres tendances à examiner : les avancées et les reculs des droits humains et de la démocratie, l’irruption des nouvelles technologies des communications et des réseaux numériques et bien d’autres choses dont le grand réveil de la Chine et de quelques autres pays émergents tels le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud. Ce texte ne prétend pas à l’exhaustivité mais vise à démontrer la nécessité de s’ouvrir à d’autres repères dans nos ambitions de changer le monde en étant tous particulièrement attentifs à la dimension internationale de l’action collective et à l’émergence depuis 10 ans d’un mouvement citoyen international dont le FSM est le digne représentant.

Et convenons d’une chose : le FSM, malgré ce que certains peuvent en dire, n’est pas un repère de « révolutionnaires » ayant une vision enfiévrée du changement social (même si ces derniers sont présents). Le FSM est surtout un espace de délibération planétaire pour toutes les personnes et organisations qui se considèrent (explicitement ou pas) partie prenante de lagauche démocratiqueau sens où l’entendent les politologues Nöel et Thérien c’est-à-dire des personnes qui allientaction collective(de différentes natures et dans des créneaux couvrant différents aspects de la vie en société) avec uneanalyse critiquede la mondialisation néolibérale dans une perspective d’égalitéet desolidarité internationaleentre les peuples dans un contexte où l’après-capitalisme n’a pas encore véritablement dessiner ses contours. « Nous sommes encore dans une phase de recherche » nous dit Chico Whitaker, membre du Conseil international du FSM. 

Phase exploratoire certes ! Mais nous savons cependant qu’une « gauche démocratique » signifie d’entrée de jeu : 1) que le changement dont il est question - quand on parle de « pistes de sortie du capitalisme » ou de « mondialisation équitable, écologique et solidaire » - est, sera et devra êtredémocratiqueet non commandée par une quelconque avant-garde éclairée ; 2) d’autre part, l’expression « gauche » nous indique, en fond de scène, l’existence d’un conflit sur l’égalité entre une gauche d’un côté et une droite de l’autre. Bref, unclivage de valeurs. Nöel et Thérien démontrent bien qu’il s’agit d’un débat qui est international et qu’il traverse, bien que ce ne soit pas une évidence, la plupart des pays et des institutions internationales. Un « débat sans frontières » pour paraphraser le titre de leur ouvrage (2010).

Bibliographie

Alphandéry, C. (2011),Une si vive résistance, Éditions Rue de l’Échiquier, Paris.

Arendt, Hannah (1982 et 1972),Les Origines du totalitarisme, Seuil, Paris (en anglais, 1951).

Biasutti, J.-P. et L. Braquet (2010),Comprendre le capitalisme, Bréal, Monts.

Chelini-Pont, (2007), « Le réenchantement discret des mondialisations religieuses » dans Schlegel, J.-L (dir.),Effervescences religieuses dans le monde. RevueEsprit, mars-avril 2007, Paris, p. 161 à 168.

Diagne, Mountaga (2008).Décentralisation et participation politique en Afrique : le rôle des confréries religieuses dans la gouvernance locale au Sénégal. Cahier de l’ARUC-ISDC, no 18, UQO, Québec.

Favreau, L. (1989),Mouvement populaire et intervention communautaire : continuités et ruptures. Ed. du Fleuve/CFP, CFP, Montréal.

Favreau L., L. Fréchette et R. Lachapelle (2008).Coopération Nord-Sud et développement, le défi de la réciprocité, PUQ, Québec.

Favreau L., L. Fréchette et R. Lachapelle (2010).Mouvements sociaux, démocratie et développement : le défi d’une mondialisation solidaire, PUQ, Québec.

Favreau, L., S. Ndiaye et H. Ortiz (2008),L’État social au Nord et au Sud : le défi de la prochaine décennie.Disponible sur mon blogue (article paru dans le journal Le Devoir)

Favreau, L. et A.S. Fall (2007).L’Afrique qui se refait. Presses de l’Université du Québec, Sainte-Foy, Québec.

Gadrey, J. (2010),Adieu à la croissance, bien vivre dans un monde solidaire, Éd. Alternatives économiques et Les petits matins, Paris.

Kempf, H.(2008),Sauvez la planète, sortez du capitalisme, Seuil, Paris.

Lipietz, A. (2009),Face à la crise : l’urgence écologiste, Ed. Textuel, Paris.

Rocher, G. (2010),Allocution à la Grande-Bibliothèque, 28 avril 2010, Montréal.

Ndiaye, S. (2009),Itinéraire et innovations sociales en milieu associatif en Afrique de l’Ouest : l’expérience du Sénégal, ARUC-ISDC/CRDC, UQO, Gatineau.

Noël, A. et J.-P. Thérien (2010),La gauche et la droite, un débat sans frontières.Presses de l’Université de Montréal, Montréal.

Rosanvallon, P. (2010), « Une autre forme d’utopie »,Alternatives économiques, numéro 295, octobre 2010, p. 67.

Semprun, J. (1979),Autobiographie de Federico Sanchez, Seuil, Paris.

Whitaker, C. (2006),Changer le monde - Nouveau mode d’emploi, Paris, Éditions de l’Atelier.

Documentation sur internet

[1] Communismes parce que les idées et les pratiques ont été assez différentes selon qu’il s’est agi du communisme de l’URSS, celui de la Chine ou de Cuba ou du Vietnam. Ou encore de partis communistes occidentaux comme celui de l’Italie bien différent de celui de l’Espagne ou de la France.

[2] Seulement dans un région de la Chine où florissait l’industrie textile, 15 millions d’emplois ont été perdus fin 2008, par défaut de carnets de commande qui se sont vidés en quelques mois seulement (Radio-Canada,Krach, les dessous de la crise économique mondiale, 2011), les entreprises ayant fait ces commandes n’ayant plus la liquidité pour payer ce qu’il devait, et encore moins pour en faire de nouvelles.

Eglises pentecôtistes aux É.U et dans les pays du Sud
Vision mondiale bénéficie du soutien des évangéliques américains (une communauté de plus de 16 millions de fidèles) en disposant d’un budget annuel de plus d’un milliard et demi de dollars pour des projets dans le domaine de l’éducation, de la santé et de l’aide humanitaire en général avec 22,000 employés actifs dans 100 pays. Pratique principale : un militantisme caritatif qui fait fi du principe de la neutralité religieuse.Source : Nicolas Masson, « La dimension géopolitique des fondamentalismes » dans la revueEsprit, mars-avril 2007, p. 219-220. Note : les évangéliques dans ce cas-ci sont membres des Églises pentecôtistes.
Extraits, mémoire de la CSN au gouvernement du Québec suite à la Commission Bouchard-Taylor
En plus de rendre officielle la laïcité du Québec, une charte de la laïcité telle que le prône la CSN, devrait définir comment la neutralité devra s’exprimer dans l’appareil de l’État, ses institutions, ses représentants et ses services aux citoyennes et aux citoyens. La charte énoncerait donc les balises garantissant cette neutralité.Source : Mémoire de la CSN sur la laïcité, mai 2010.
Gaz de schiste : son extraction à l’échelle internationale pourrait s’avérer une grave source de pollution
« Les gaz de schiste sont au gaz ce que les sables bitumineux canadiens sont au pétrole : de nouvelles ressources en quantités énormes mais dont l’extraction présente un lourd enjeu environnemental »affirme le journal Le Monde dans son bilan Planète de 2010.Ces ressources représentent cinq fois plus que le gaz conventionnel. L’Agence internationale de l’énergie estime qu’un tiers se trouve en Asie-Pacifique (Chine, Asie centrale, Australie…) et un quart en Amérique du Nord. Cette ruée gagne aussi l’Europe…Les gaz de schiste vont sans nul doute faire l’objet dans les années qui viennent d’une compétition sans mercide conclure le journal. Source : extraits de B. D’Armagnac et J-M Bézar, Le Monde, Bilan Planète 2010, p. 76.
Radio-Canada (2011), Krach, les dessous de la crise économique mondiale.
Série documentaire de quatre émissions : disponibles sur internet (40 minutes chacune sans publicité)

http://www.radio-canada.ca/emissions/krach/2011/

Épisode 1 - Les architectes de la ruine 
Diffusé le 14 janvier 2011

La série nous transporte dans les coulisses de la finance mondiale où un redoutable mélange d’excès, de négligence et de criminalité a infecté le système financier et semé les germes de la catastrophe à venir.

Épisode 2 - Le tsunami qui a balayé le monde 
Diffusé le 21 janvier 2011

À New York, la faillite de la banque Lehman Brothers provoque une panique sans précédent dans les milieux politiques et financiers. Derrière les portes closes, les dirigeants de la planète tentent de sauver l’économie mondiale et de contenir la contagion.

Épisode 3 - Le prix à payer 
Diffusé le 28 janvier 2011

Les effets du krach se font sentir. Au Canada, des entreprises et des usines ferment leurs portes. En France, des employés kidnappent leurs patrons. Aux États-Unis, des milliers de familles sont jetées à la rue. En Islande, le gouvernement tombe. Partout, la colère gronde.

Épisode 4 - Des lendemains amers 
Diffusé le 4 février 2011

L’indignation de la population mène à la création de nombreuses commissions d’enquête, afin d’identifier les responsables du krach. Les dirigeants politiques tentent de réinventer le capitalisme. Le monde se relève à peine, mais on s’inquiète déjà de la prochaine crise...

Tag(s) : #Faits de Société et Revue de presse.

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